LETTRE OUVERTE,

À toi, cher Parent, qui utilise cette expression quand tu fais référence à des anecdotes éducatives.

« Quand j’étais petit.e… et je n’en suis pas mort.e »

Sais-tu la première chose que j’ai envie de faire en entendant ces mots dans ta bouche!?

J’ai envie de te prendre dans mes bras et de te cajoler. J’ai envie de t’enlacer et te dire que ça n’est pas ta faute.

Mais tu ne comprendrais pas et tu me repousserais – probablement – en me prenant pour une illuminée.  « Quand j’étais petit.e… et je n’en suis pas mort.e! »
Tu utilises cette vérité de La Palice sans te rendre compte de ce qu’elle dévoile sur toi.

Ce constat de ta survivance – incontestable – raconte le type d’éducation que tu as reçu. Car oui, il s’avère que les gens qui utilisent cette expression, partagent un certain nombre de points communs. C’est une expression « symptomatique » si tu préfères. Il est probable que tu aies reçu :

– une éducation traditionnelle – à tendance stricte… peut-être autoritaire
– une éducation où l’adulte a raison et où l’enfant doit rester à sa place
– une éducation où la place de l’enfant est en bas de la pyramide
– une éducation où la parole de l’enfant vaut moins que celle d’un adulte
– une éducation où il faut être poli, respectueux, travailleur et courageux pour arriver en haut.

En haut, c’est le graal : la place de l’adulte. Là où on acquiert les droits… avec les devoirs.

Bien sûr ce portrait éducatif est taillé à la hache… mais je devine que tu t’y retrouves un peu quand même.

D’ailleurs, tu es probablement très satisfait de cette éducation offerte par tes parents. Elle t’a menée là où tu es aujourd’hui. Tu es même fier.e des valeurs qu’ils t’ont transmises. Tu ne leur a jamais dit mais tu remercies tes parents d’avoir fait de toi la personne que tu es maintenant.

Je suis d’accord avec toi.

Nous devrions tous – ou presque – remercier nos parents pour la mission qu’ils ont accompli pour nous.

Ils ont fait du mieux qu’ils pouvaient avec les connaissances à leurs dispositions.

Puisque tu es encore là, j’aimerais te raconter la deuxième chose que je devine de toi.

« Quand j’étais petit.e… et je n’en suis pas mort.e » m’explique que tu reproduiscertains traits de ce courant d’éducation avec tes propres enfants.  

Évidemment! me rétorqueras-tu. Qui ne reproduit pas la façon dont il/elle a été élevé.e… au moins dans les grands lignes?

Personne. Personne ne peut faire totalement différemment. C’est tout bonnement impossible.

– Alors, où est le problème!? me lanceras-tu.

Tu as raison. Je reformule afin d’être plus précise et explicite.

Tu utilises cette expression lorsque tu as besoin de justifier ta méthode. Et tu as besoin de justifier ta méthode lorsque tes actions et tes réactions avec ton Enfant ont été mises en doute. Peut-être par un regard, peut-être par un commentaire ou des questions

Ce peut-être avec ton/ta conjoint.e parce qu’il/elle t’a trouvé.e dur.e.
Ce peut-être au milieu d’une bande d’amis lors d’une conversation sur l’éducation.
Ce peut-être auprès de la dame de L’Odyssée.

Alors, surtout, ne te méprends pas.

Je ne suis pas là pour te donner une leçon. Je ne suis pas là pour te dire que tu as tort. Je ne suis pas là pour te dire qu’utiliser cette expression est mal. Je ne suis pas là, non plus, pour te dire comment éduquer ton Enfant. 

D’ailleurs, je te ressens comme un Parent investi, qui sait donner à son enfant.

Tu t’investis de façon positive dans son éducation… jusqu’au moment où tu touches tes propres limites. 

Comme tous les parents, ces limites… tu ne les as pas choisies, elles ont été implémentéesdans ton système par ton éducation.

Et, parfois, tu « confesses » ces limites sans t’en rendre compte par un : 
« … et je n’en suis pas mort.e »

Cette expression est un aveu.
L’aveu – inconscient – des égratignures de ton Enfant Intérieur.

NON!!! Ne pars pas, ne me laisse pas, ne m’envoie pas paître, s’il te plaît. 

Je crois savoir que cette lettre t’attire autant qu’elle te révulse.

Je suppose que pour toi « L’enfant intérieur » c’est un truc de psy… peut-être même de psychopathe! Un concept créé par des gens qui n’ont rien de mieux à faire dans la vie que de se prendre le chou sur des sujets qui ne t’intéressent pas franchement.

Je sais. J’ai mis du temps moi-aussi à appréhender cette idée. L’idée de cette dualité. Le « moi – adulte » et le « moi – enfant »… tout cela dans mon corps d’adulte!

C’est normal. C’est absolument normal. Ça prend du temps.

Et puis, toi, tu es pragmatique. Tu crois ce que tu vois. Et tu vois que tu es un adulte bien élevé et que tes enfants sont sur la bonne voie aussi… aussi grâce à toi.

Tu as assurément raison, mais sache simplement ceci.

« … et ne n’en suis pas mort.e »…

… est un bouclier.

Tu utilises ce bouclier à chaque fois que tu dois protéger quelque chose.
Protéger l’éducation que tu as reçu. 
Protéger une parole ou un acte un peu « brut » que tu as eu vis-à-vis de ton enfant. 
Protéger tes choix ou ta méthode éducative qui peut-être perçue comme « dure » sur certains points.

Si tu étais complètement aligné.eavec l’éducation que tu as reçue, tu n’utiliserais pas cette expression qui protège tes parents de toute attaque supposée.

Si tu étais complètement aligné.e avec l’éducation que tu donnes à ton enfant, tu n’utiliserais pas cette expression qui sert à te justifier.

Tu n’essayerais pas de rassurer ton entourage…
… et te rassurer toi-même.

Puisque tu m’accordes encore tout petit moment, je veux te donner un exemple qui illustre mon propos. Il révèle la puissancedes mécanismes inconscients du cerveau.

Il t’est déjà arrivé – comme à moi – d’entendre :

« Quand j’étais petit.e, je me suis pris une fessée et j’en suis pas mort.e ».

OUI MAIS…

Aucun enfant ne mérite qu’on lève la main sur lui. 

« Non mais c’était bien mérité, c’est parce que j’avais… »

Non mais VRAIMENT.

Aucun être en construction accordant une confiance instinctive à son Parent – créateur et protecteur de son corps, de son mental, de ses émotions – ne mérite qu’on lève la main sur lui.

AUCUN.

Alors voilà où le cerveau est incroyable.

Dire « oh mais c’est rien… je l’avais bien méritée cette fessée! » est aussi un mécanisme du cerveau. Un mécanisme inconscient de protection. Cela permet de maintenir notre Parent sur le piédestal où nous l’avons érigé, du haut de nos 3 pommes.

Tu es aujourd’hui adulte, mais ton enfant intérieur a besoin que la statue parentale reste à sa place, solide comme un roc.  

Reconnaître les petites failles dans l’éducation offerte par nos Parents, c’est accepter de reconnaître les siennes, accepter de douter sans cesse… accepter de changer, accepter d’ouvrir les yeux sur soi-même.

Si je te disais la Vérité, je te dirais que « et je n’en suis pas mort.e » m’a longtempslaissée pantoise.

Ne pouvons-nous pas avoir un peu plus d’ambition pour nos enfants!?

Aujourd’hui, j’ai de l’empathie pour les parents qui disent cela… 

Tous les enfants – peu importe leur génération – méritent d’être écoutés, de voir leurs besoins respectés, d’être traités avec bienveillance et empathie.

Je ne suis pas en train de dire que c’est toujourshumainement possible – oh ça non – mais chaque enfant le mérite.

Il nous aura fallu beaucoup de temps pour nous rendre compte que l’Enfant est un diamant… qu’il est pure et profondément beau.

À ce jour, des spécialistes en éducation, en neurosciences, en sociologie, en psychologie – et j’en passe – nous ont apporté tant de connaissances sur l’enfant et son développement!  

Nous ne pouvons plus chanter nos vieilles rengaines auxquelles on se raccroche, comme à des bouées décolorées par le temps.

Ton enfant ne mérite-t-il pas ce qu’il y a de mieux!?
Ton enfant ne mérite-t-il pas le bénéfice des ressources les plus récentes en éducation?

Le passé a donné le meilleur qu’il pouvait donner. Et on le remercie pour ça.

Il est plus que temps d’accepter de vivre dans le présent.

Et cela commence par le fait d’accepter que tu aurais mérité – parfois… :

– un peu plus de délicatesse pour un reproche à formuler,
– un peu plus d’empathie pour ton genou égratigné,
– un peu plus de bienveillance pour l’assiette que tu as cassée,
– un peu plus d’attention pour l’histoire que tu voulais raconter,
– un peu plus de soutien lorsque ton frère/soeur t’a donné un coup de pied,
– un peu plus de reconnaissance pour les efforts que tu as fournis,
– un peu plus de câlins lorsque tu avais peur du noir,
– un peu plus de s’il te plaît,
– un peu plus de mercis,
– un peu plus de je t’aime,
– une peu plus de je t’aime…
… comme tu es.

Aujourd’hui, tu es Parent et tu as la chance fantastique de pouvoir inventer une nouvelle histoire.Plus belle encore! 

Une histoire où tu commences par prendre soin de ta dualité. 
Une histoire où tu remercies tes parents autant que tu leur pardonnes.
Une histoire dans laquelle tu ne diriges pas ton Enfant mais le guides avec subtilité et humilité.

Une histoire où tu vas chercher au plus profond de toi, ce que tu n’as pas forcément toujours reçu…

… voilà le plus beau des cadeaux que tu puisses faire à ton enfant.

Prends soin de toi et des tiens,

Clémence. »